R.Lavillenie : "Une alimentation performante et durable est possible".

R.Lavillenie : "Une alimentation performante et durable est possible".

Renaud Lavillenie (35 ans), qui animait la soirée organisée par la MAIF et la FFA dans le cadre du lancement du programme "MAIF Sport Planète", a souhaité sensibiliser les jeunes sportifs à une alimentation performante et respectueuse de l'environnement. Après s'être remis de sa blessure, il s'est présenté à nous

Samedi dernier, le perchiste Renaud Lavillenie (35 ans) a animé un atelier cuisine à la brasserie du LOU, le club de rugby lyonnais, avec la cuisinière Chloé Charles, afin de sensibiliser 33 jeunes athlètes du groupe Ambiton 2024 à une alimentation performante et durable. Cette initiative s'inscrit dans le cadre du programme "MAIF Sport Planète", qui vise à promouvoir une pratique sportive plus respectueuse de l'environnement. Le champion olympique s'est réjoui des nombreux et précieux conseils reçus lors de cette soirée et a fait pour nous le point sur sa carrière avant les Jeux Olympiques de Paris en 2024, où il visera avant tout le podium, l'or semblant promis à l'extraterrestre Armand Duplantis. Le Clermontois est très heureux d'avoir retrouvé de bonnes sensations après sa blessure à la cheville gauche qui l'avait handicapé l'été dernier.
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Renaud Lavillenie, samedi dernier, vous avez animé un atelier culinaire de sensibilisation à une alimentation performante et respectueuse de l'environnement. Qu'avez-vous appris de cette expérience ?
Je ne suis pas vraiment cuisinier, c'était donc une expérience formidable de pouvoir discuter avec une cuisinière (Chloé Charles, découverte dans l'émission Top Chef 2021) sur un sujet intéressant et fascinant. J'ai vraiment passé un bon moment, que je renouvellerai avec grand plaisir.

Que pensez-vous de ce programme qui s'inscrit dans le cadre de l'initiative MAIF Sport Planète et qui vise à initier les futurs champions à une alimentation durable et performante ?
C'est clairement un sujet important et pertinent. Il peut paraître compliqué pour nous, sportifs de haut niveau, car notre carburant, ce sont les protéines, il ne faut donc pas se louper sur ce point, sinon cela peut avoir un impact direct sur la performance. Il met également fin aux idées reçues selon lesquelles les sportifs doivent manger des féculents et de la viande blanche ou rouge. Ce programme nous fait prendre conscience que nous pouvons réussir à diversifier notre alimentation et à privilégier certains modes de consommation avec des produits locaux et de saison, tout en consommant les nutriments nécessaires à une bonne performance. Une alimentation à la fois performante et durable est possible. C'est important de faire passer ce message à la jeune génération pour les mettre sur la bonne voie dès le début, c'est quand même quelque chose à retenir pour l'avenir.

Est-ce que c'était un peu la teneur de votre message lors de cet atelier ?
Très clairement et sans ambiguïté. J'ai 35 ans et 15 ans de sport de haut niveau derrière moi, donc les choses ont forcément évolué au cours de ma carrière. Au début, l'alimentation n'était pas forcément la priorité. Puis, petit à petit, on se rend compte que plus on mange bien, plus on s'entraîne bien. On se rend compte que c'est en faisant les bonnes choses au bon moment que l'on maximise son potentiel et que l'on favorise la réussite. Chaque étape est importante et l'alimentation fait partie intégrante de l'entraînement. On peut avoir toutes les qualités du monde et le meilleur entraînement du monde, si l'on se trompe dans son alimentation, cela aura un impact négatif sur la performance. Si tous ces jeunes ont la chance d'être bien conseillés assez tôt dans leur carrière, cela peut leur éviter de faire des erreurs et de perdre ainsi un peu de temps. De plus, depuis quelques années, on parle de plus en plus d'environnement, et on aurait tort de s'opposer à ces nouveaux modes de vie plus responsables, qui sont largement compatibles avec notre quotidien de sportif de haut niveau.

Avez-vous personnellement appris des choses ? Et si oui, qu'avez-vous appris ?
Oui, bien sûr que vous l'avez fait. Surtout qu'en marge de l'atelier, beaucoup d'informations ont été transmises pour prendre conscience du carbone dans nos assiettes et changer certaines croyances qui se sont révélées totalement erronées. J'ai également réalisé que certains aliments qui ne semblent pas appétissants au premier abord peuvent le devenir s'ils sont bien cuisinés ou associés à quelque chose que l'on aime, et que ces aliments nous apportent en outre les bons nutriments pour être performants. Cette soirée nous a donné une bonne base de travail, à nous maintenant de l'approfondir et d'aller plus loin.

Cela vous a-t-il donné envie de vous mettre à la cuisine ou non ?
Alors non (il rit). J'ai la chance d'avoir une femme dont le papa était cuisinier, qui a passé beaucoup de temps en cuisine et qui aime beaucoup ça. Je lui laisse donc le côté cuisinier et je m'occupe de goûter ce qu'elle me prépare ! Je suis quand même capable de cuisiner, mais je suis surtout concernée par la préparation des repas, de me dire que je vais essayer de réduire tel ou tel aliment, ou d'augmenter tel ou tel autre. C'est une bonne dynamique.

Un tel atelier aurait-il été bénéfique pour vous au début de votre carrière ?
Très clairement, oui. Si j'en avais bénéficié il y a dix ans, cela aurait peut-être été très intéressant, car ce n'est pas une hérésie de dire que lorsqu'on parle d'alimentation avec un sportif, celle-ci est assez restrictive. Le sportif mange très régulièrement des féculents avec de la viande. S'écarter de cette approche n'est pourtant pas une mauvaise chose, bien au contraire. On peut avoir une alimentation performante, saine et équilibrée. J'ai eu la chance que mes parents me proposent une alimentation équilibrée quand j'étais jeune, alors j'ai continué de cette manière.

"J'ai été dans la peau de Duplantis pendant un certain temps"


Vous n'avez pas forcément été gâté par le destin ces derniers temps. Dans quel état d'esprit vous trouvez-vous après la fin des championnats du monde en salle, auxquels vous aviez renoncé ?
Depuis cet été, j'ai fait un bon voyage pour pouvoir reprendre pied sportivement, car ma blessure à la cheville était vraiment grave. Cet hiver, j'ai été très contente de pouvoir reprendre mon sport, même si j'ai eu plus d'irrégularités que d'habitude. J'arrive à tout remettre en ordre. J'ai pris la difficile décision cet hiver de ne pas aller aux championnats du monde afin de pouvoir prendre plus de temps pour me préparer et me concentrer sur les championnats du monde de cet été. Pour l'instant, ça se passe plutôt bien, je suis dans la bonne dynamique pour retrouver un niveau de performance assez intéressant en été et pouvoir continuer à me faire plaisir.

Aviez-vous peur de devoir mettre un terme à votre carrière ?
Non, je ne l'ai pas craint parce que de toute façon, par chance, si on peut appeler ça comme ça, j'avais fait d'énormes performances à l'hiver 2021. Et même juste avant le pet (sic) de cet été, j'avais sauté 5,92 m en été. J'avais vraiment réalisé de grandes performances qui me permettaient d'obtenir un grand résultat aux Jeux olympiques. Par conséquent, je n'étais pas en mode : je me suis blessé au moment où je ne pouvais plus le faire. C'est pourquoi je me suis simplement dit que je n'abandonnerais pas, que je donnerais tout et que je reviendrais. C'est ce que je suis en train de mettre en œuvre. J'espère que je serai capable de créer moi-même le jour où je dirai que j'arrête. Mais j'espère que ce jour n'arrivera pas de sitôt, car je veux toujours m'amuser et continuer à monter sur les tremplins.

Où vous situez-vous mentalement ? Il n'est pas difficile d'imaginer que l'échec aux Jeux de Tokyo n'a pas dû être facile à gérer pour vous ?
Le fait est que j'étais déjà arrivée affaiblie. Et pour moi, c'était déjà presque un exploit d'être là. Sauter et être finaliste en même temps avec une cheville qui s'est détachée et un pied qui s'est décollé du talon a rendu les choses moins difficiles à digérer, parce que j'avais réussi quelque chose que peu de gens auraient été capables de faire. Mais cela n'atténue pas la frustration quand je pense que la médaille aurait clairement été dans le domaine du possible si je n'avais pas eu cette blessure. Mais il faut savoir gérer le contexte actuel et cela me motive à me dire que je peux encore faire quelque chose lors des prochains championnats, même si la concurrence est rude. Ma capacité à me dépasser lors d'un championnat est toujours intacte et sera toujours l'un de mes points forts lorsqu'il s'agira de remporter des médailles.

Face à la montée en puissance d'Armand Duplantis, avez-vous quand même le sentiment aujourd'hui de ne pouvoir lutter que pour la deuxième place derrière lui ?
Oui, c'est vrai, bien sûr. Après, on fait du sport, on fait du saut à la perche et ce n'est jamais écrit d'avance. Il est clair qu'il avait une avance considérable et qu'on ne peut pas s'attendre à battre "Mondo" avec un saut à plus de 5,80 mètres. Or, à un moment donné, je me suis retrouvé dans le même état que lui. Comme lui, j'avais l'habitude de gagner presque tout. Et quand je ne me plantais pas, j'étais à chaque fois quasiment assuré de la première place. Après, on peut aussi se rater, cela fait partie du jeu. J'ai la chance d'avoir une carrière assez dense, avec beaucoup de médailles. Et ça a toujours été le plus important pour moi. Cela signifie que je ne voulais pas seulement avoir de l'or à tout prix, mais que j'ai toujours fait passer la médaille avant tout. Qu'il y ait "Mondo" ou pas ne change rien au fait que ma priorité est d'être sur le podium. Et après, on ne sait jamais ce qui peut se passer lors d'une compétition.

Duplantis est-il pour vous le meilleur perchiste de tous les temps ? Ou pensez-vous au contraire que c'est toujours Sergueï Bubka ?
Dans l'absolu, c'est à la fois comparable et incomparable, car il ne s'agit pas des mêmes époques et nous ne sommes qu'au début de "Mondo". Très clairement, on ne peut pas dire pour le moment qu'il est le meilleur perchiste de tous les temps, car Bubka a réalisé quelque chose d'énorme. Il a gagné six fois le championnat du monde, a établi 35 records du monde, en plus de tous ses sauts de six mètres, etc. Il a quand même des statistiques qui sont vraiment très solides. Duplantis a une carrière qui ne date pas d'hier. Il est champion du monde en salle, champion olympique et champion d'Europe, mais tout ce qu'il a fait jusqu'à présent, il ne l'a fait qu'une seule fois lors de grands championnats. Dans dix ans, nous verrons s'il a réussi à accumuler autant de titres et de records (comme Bubka), ce qui est tout à fait possible. Une chose est sûre : Bubka était le meilleur perchiste des années 90, "Mondo" est en bonne voie pour devenir le meilleur perchiste des années 2020, cela ne fait aucun doute. Il faut maintenant voir combien de temps "Mondo" tiendra. Lorsqu'il aura remporté cinq championnats du monde et trois Jeux olympiques, il est évident qu'il ne pourra pas rivaliser avec les autres. Pour l'instant, ce n'est pas encore le cas, nous avons donc encore le temps de voir (rires).

"Si je vais à Paris pour gagner, Duplantis sera sur une jambe"


Vous rêvez forcément de décrocher l'or à Paris. Vous sentez-vous capable de le faire ?
Honnêtement, le fait de dire que je vais à Paris pour gagner ... Je suis lucide : si je vais à Paris pour gagner, "Mondo" doit être sur une jambe, sinon ça va être compliqué. Dans notre sport, ce n'est pas parce que tu as fini deuxième que tu as perdu, et cela dépend de tout. Pour moi, l'objectif à Paris sera clairement d'être le plus compétitif possible pour aller chercher la médaille qui m'a échappé à Tokyo. Ce sera vraiment mon objectif principal. Le travail que je suis en train de mettre en place fonctionne plutôt bien. Je verrai cet été comment les choses évolueront, mais quoi qu'il arrive, je n'ai jamais été pessimiste envers moi-même. J'ai toujours eu confiance en moi, donc je ne vais pas me l'enlever maintenant. Nous avons encore un peu de temps jusqu'en 2024, donc je n'ai aucune raison de ne pas croire en moi, même si nous devons attendre de voir dans quel contexte tout le monde va se trouver. Mais il y a encore deux ans d'attente !

Si on vous revoit aux prochains championnats du monde en plein air, peut-on s'attendre à ce que vous soyez à nouveau au sommet ?
Oui, bien sûr. En tout cas, tous les championnats à venir seront de véritables courses d'entraînement (pour les Jeux de 2024). Les championnats du monde de cet été seront très importants pour moi, car ils me permettront de relancer la machine qui s'est un peu enrayée. Et quand on pense que derrière, il y aura les championnats d'Europe, puis les championnats d'Europe en salle, puis à nouveau les championnats du monde. Nous avons quand même toute une série de championnats avant les Jeux olympiques pour évaluer le terrain et voir comment tout cela va évoluer. La discipline est assez en vogue en ce moment, il y a une belle génération avec plusieurs perchistes qui sont assez performants. Tout ne tourne pas autour d'une seule personne. Mais comme d'habitude, il ne faudra pas se louper lors des grandes compétitions.

Parmi les perchistes qui montent, il y a votre jeune frère Valentin, qui a terminé quatrième aux derniers championnats de France...
Oui, c'est bien ce que fait Valentin, parce qu'il ne lâche pas et qu'il arrive à se sortir de bonnes situations. Mais c'est pareil : en France, on a aussi une belle génération avec des jeunes qui sont là et d'autres qui grandissent derrière. Et dès qu'on commence à baisser un peu le niveau, quelle qu'en soit la raison, on sait qu'il n'y a pas d'assurance tous risques. Ce qui a été fait en hiver rend les choses intéressantes pour l'été aussi, parce qu'on sait que ceux qui n'ont pas réussi vont serrer les dents pour se rattraper en été. C'est un match continu sur les terrains de saut, et c'est ce qui fait la performance quotidienne.

Et il y a "le vieux" qui résiste ?
(rires) Oui, oui, il n'y a aucune raison de baisser les bras, nous verrons cela dans quelques mois maintenant !