Romain Bardet, rayonnant vendredi à l'arrivée du Tour des Alpes qu'il avait remporté grâce à son coup de force lors de la dernière étape, a touché le fond moralement dimanche sur Liège-Bastogne-Liège. La faute à la chute massive à une soixantaine de kilomètres de l'arrivée, qui l'a envoyé dans la tombe. Du moins, c'est ce qu'il suppose. J'ai eu le temps de freiner et de me dire que ma saison était terminée, et à partir de là, je ne me souviens plus de rien", a-t-il raconté au journal sportif français L'Equipe. L'image suivante, c'est quand je me suis retrouvé dans le fossé avec Julian Alaphilippe. Je sais que j'ai été percuté par l'arrière, je pense que j'ai dû tomber, mais je n'ai rien sur moi, je ne me souviens pas. Il me manque quatre à cinq secondes".
En revanche, le pilote français se souvient des secondes passées aux côtés de son compatriote, envoyé dans le fossé contre un arbre, dont il est immédiatement descendu en l'apercevant allongé dans l'herbe. "Je vois Julian, je vois qu'il va vraiment mal. Il peut à peine respirer, il ne peut pas parler, il ne peut pas bouger. Et là, j'ai un éclair de lucidité qui me donne l'impression d'être le seul à voir qu'il est là, qu'il souffre et que la course continue, sans y prêter attention", a-t-il raconté. Les motos repartent, les voitures aussi et je suis là, dans le fossé, je crie seul dans le vide et personne ne m'entend. C'est une détresse immense. J'avais l'impression qu'il allait rester là pour toujours, tout seul".
Parfois, l'humanité...
Et le pire était sans doute à venir pour l'Auvergnat, marqué au fer rouge par le manque de solidarité de son entourage. "Je remonte vers la route et je manque de me faire écraser par un directeur sportif complètement fou qui voulait repartir devant. Parfois, l'humanité...", a-t-il poursuivi, ajoutant : "Je venais de vivre cette scène horrible, et ils semblaient le prendre comme si c'était un fait de course, comme si la compétition était plus importante que tout le reste. J'avais du mal à croire qu'ils ne souriaient pas et ne se disaient pas : "Super, quelques adversaires de moins". J'exagère, mais à leurs yeux, c'était un événement de course comme un autre. Alors bien sûr, il n'y a pas de règles établies, mais il y a une décence, peu importe...".
Les risques pris par les coureurs sont devenus effrayants aux yeux du coureur de la DSM, pour qui le comportement de chacun doit changer. "Parfois, il faut accepter son classement dans la course. Je le dis, je ne suis pas non plus totalement irréprochable, hein. C'est une course, il y a des enjeux, tout n'est pas propre tout le temps. Mais il y a une limite à trouver, et je remarque que cette limite se déplace de plus en plus vers l'extrême", a-t-il avoué, ajoutant : "Je comprends ceux qui se retiennent. Ceux qui ne veulent pas que leur saison ou leur carrière soit ruinée d'un seul coup. Mais compte tenu de l'enjeu, cela tourne parfois complètement mal. Certains types prennent de plus en plus de risques et mettent les autres en danger".
Pourtant, le natif de Brioude n'envisage pas de changer radicalement sa façon de courir. "Il faut accepter de prendre des risques, sinon on arrête ce métier", a-t-il encore argumenté. D'autre part, même si je suis prêt à m'investir pour être placé et faire la course, je ne suis pas prêt à tout risquer, y compris mon intégrité physique, pour être devant. Je préfère avoir une fracture un jour et perdre dix secondes, mais ne pas tomber".