Caroline Drouin, vous rêviez de porter un jour les couleurs de l'équipe de France. Vous êtes devenue une titulaire, que ce soit dans l'équipe des 15 ou dans celle des 7. Diriez-vous que vous avez vécu une magnifique ascension ?
Oui, je l'ai fait. Tout le monde rêve de jouer un jour pour l'équipe nationale. Mais que j'aie aujourd'hui toutes les distinctions et expériences que j'ai pu acquérir avec l'équipe de France, c'est déjà formidable ! Mais je ne veux pas m'arrêter là. J'ai encore beaucoup à apprendre et à travailler. Et j'ai l'intention de vivre encore beaucoup d'autres matchs internationaux sous ce maillot.
Après les Jeux de Tokyo, vous avez eu du mal à réaliser ce que vous viviez depuis vos débuts avec les footballeuses françaises. Avez-vous conscience aujourd'hui de l'empreinte que vous avez déjà laissée dans le rugby français ?
C'est vrai qu'après les matchs, j'ai mis un peu de temps à réaliser. Ce qui est bien, c'est que j'ai la chance d'avoir toujours un objectif en tête, qui est rapidement atteint. Il y a eu la tournée d'automne et maintenant les Six Nations, donc on a le temps de réaliser le moment et de se dire : oui, c'est super ce qu'on vit et ce qu'on fait. Et pourtant, il y a toujours quelque chose qui vient après. Je profite, je savoure l'instant et je me replonge rapidement dans le travail pour viser encore plus haut.
On a dit de vous que vous étiez surdoué dès le début. Malgré toute votre modestie, avez-vous d'abord senti qu'une grande carrière vous attendait dans le rugby ?
(Rires) Non, je ne l'ai pas senti tout de suite. Même si j'ai remarqué que c'était facile pour moi, j'ai toujours voulu qu'en travaillant dur, je puisse aller aussi loin. En tout cas, je ne me suis jamais contentée de ça, j'ai toujours voulu travailler beaucoup plus, et ça paie encore aujourd'hui. Et oui (elle rit), la modestie que j'ai, je l'ai encore aujourd'hui et je la garderai toujours.
Avez-vous néanmoins l'impression d'être plus douée que les autres ? Et dans quels domaines êtes-vous particulièrement douée ?
Dans tout ce qui est technique : ce bagage technique que je peux avoir avec le ballon, la vision du jeu. Même s'il y a encore d'énormes progrès à faire dans ce domaine, le fait d'avoir commencé à jouer au rugby avec les garçons m'a énormément apporté. Surtout dans cet aspect technique. Et c'est la raison pour laquelle on pourrait penser aujourd'hui que j'ai cette longueur d'avance. Car j'ai effectivement commencé très jeune. J'ai eu la chance de côtoyer des jeunes et de beaucoup travailler. C'est pour ça qu'aujourd'hui on peut penser qu'il y a ce petit delta technique, mais ça passe aussi beaucoup par le travail.
Le fait d'avoir commencé avec des garçons vous a certainement permis de vous améliorer très rapidement en termes d'impact ?
Oui, même si en tant qu'enfant, on est encore un peu plus réticent. Mais les appréhensions sont effectivement beaucoup moins fortes quand on commence avec des garçons. Cela forge aussi ton caractère, c'est très bénéfique, honnêtement. Je suis le numéro 10, mais j'ai commencé dans le premier centre. J'aime le contact et de temps en temps un peu de chocolat (rires).
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Qu'est-ce qui vous plaît tant dans le poste de demi de mêlée ?
Paradoxalement, ce poste et moi n'avons pas toujours été en bons termes, car j'ai eu du mal à l'accepter. Pour moi, c'était un poste où l'on te demandait beaucoup de responsabilités et de leadership. C'est aussi un poste qui te demande beaucoup d'expérience. À l'époque, j'étais beaucoup moins mature qu'aujourd'hui. Ce qui me plaît aussi aujourd'hui, c'est que j'ai pu voir à la fin d'où j'ai commencé, ce que j'ai pu vivre et comment j'ai évolué dans ce poste. C'est pourquoi j'en profite aujourd'hui. J'ai traversé tellement de moments difficiles sans rien lâcher que j'en profite aujourd'hui. Parce que j'ai enfin compris les spécificités de la position, j'ai compris qu'il faut faire jouer autour de soi, mais qu'il y a aussi énormément de mouvements à faire jouer pour soi. C'est la raison pour laquelle j'aime tant cette position aujourd'hui. Comme j'ai aussi joué en tant que numéro 12, je sais aussi ce qui attend un avant-centre. Il est maintenant beaucoup plus facile pour moi de progresser à ce poste.
C'est une position qui vous place sous les feux de la rampe, mais qui vous interdit aussi d'échouer. Comment gérez-vous cette ambivalence ?
Honnêtement, je ne me suis jamais mis trop de pression pour me dire qu'effectivement, on est un peu plus sous les feux de la rampe. Il y a l'importance du match de football ou celle des décisions de jeu, et souvent nous sommes les décideurs sur le terrain. Mais si le match est gagné, la charnière a généralement fait un très bon match. Et quand il est perdu, la faute est rejetée sur la charnière. Il faut faire la part des choses. Même si on est un peu perdant à l'extérieur sur les positions 9 et 10 et parfois en conquête, il faut aussi se concentrer sur soi-même et voir si c'était la réalité. En tout cas, je n'ai jamais eu trop de pression pour être plus que la lumière que les quatorze autres filles.
Qu'est-ce qui vous a poussé à vous orienter vers le rugby, après un intermède dans le handball ?
Quand je suis passée au handball (j'avais commencé le rugby à six ans), j'étais en pleine puberté et je voulais à nouveau intégrer une équipe de filles, car j'avais joué au rugby avec des garçons. J'avais donc changé de sport, mais le rugby me manquait, même beaucoup. Je savais que le handball n'était qu'une solution provisoire en attendant de retrouver une équipe féminine de rugby, et que ce n'était qu'une solution provisoire avant que je ne me consacre pleinement au rugby. J'ai pu le faire à 19 ans, lorsque je suis revenue à Rennes. Mes années de handball ont cependant été très bénéfiques, car elles m'ont beaucoup apporté et le handball est très complémentaire du rugby. Je n'ai rien perdu de mon rugby quand je suis passé au handball.
Pourquoi aimez-vous tant le rugby ?
Il y a tellement de choses dans le rugby... Tant de choses à apprendre, à travailler et à améliorer. Honnêtement, on ne s'ennuie jamais. Même quand on pense avoir accompli quelque chose, il y a toujours d'autres domaines sur lesquels on peut travailler. C'est ce qui me plaît vraiment : je ne m'ennuie jamais parce qu'il y a toujours quelque chose de nouveau à faire. Même si on est cantonné à un poste précis à quinze ans, il y a tellement de choses à faire. C'est vraiment ce concept de ne jamais s'ennuyer et de faire de la stratégie tout en ayant beaucoup de folie et de jeu. C'est vraiment typique du rugby.
Quand l'équipe tourne, comme c'est le cas actuellement avec l'équipe de France, l'ambiance doit être belle aussi ?
Oui, absolument (rires). Je ne voulais pas parler des valeurs et de l'ambiance parce que c'est ce qui ressort à chaque fois (rires), mais au-delà de ça, c'est évidemment typique de ce sport et ça fait partie du rugby. Surtout que quand on est dans une année de Coupe du monde et qu'on sait qu'on va vivre des choses extraordinaires, c'est forcément toujours mieux à vivre.
" Le 7 et le 15 ?
C'est dense, mais j'ai le corps qui me le permet"
Vous avez aussi la particularité de jongler en permanence entre le 7 et le 15. Vous n'arrivez pas à vous décider ? Vous ne pouvez pas vous passer de l'un ou de l'autre ?
(Elle rit) Oui, c'est surtout ça. J'ai été une sportive très active, j'ai découvert le 7 sur le tard, et c'est vraiment une discipline à laquelle je suis très attachée, car en termes de dépassement de soi, elle est vraiment unique. Et par le biais des Jeux olympiques, c'est forcément une discipline qui fait rêver. Quand on est sportif et qu'on peut participer aux Jeux olympiques, c'est extraordinaire. Et le fait d'être à quinze ne le permet pas. J'aime vraiment les deux. Les objectifs sont tellement différents dans les deux disciplines. J'ai la chance de pouvoir me présenter dans les deux disciplines, alors je le ferai tant qu'on me le permettra. Même si je suis maintenant beaucoup plus à même de fixer des priorités pour le 7 ou le 15 en fonction de l'événement. Pour l'instant, c'est une 15e année (rires). En tout cas, je veux continuer à faire les deux. Tant que c'est possible.
Est-ce que ce serait un crève-cœur pour vous si vous deviez choisir ?
(Elle hésite) Cela dépendrait des arguments. Si on me dit que les saisons sont beaucoup trop intenses et denses pour que je puisse postuler pour les deux ... Mon parti n'est pas non plus de faire l'un ou l'autre, juste pour dire que je fais sept et quinze. Il s'agit d'essayer vraiment d'être performant lorsque je passe dans l'une ou l'autre équipe. C'était vraiment des périodes ciblées où je pouvais matcher et apporter quelque chose à l'équipe, et pas seulement dire que j'étais des deux côtés du terrain. Si demain on me dit que ce n'est vraiment plus possible, que ça ne peut clairement plus continuer comme ça et qu'on me l'impose, ce choix sera fait. Mais pour l'instant, ce n'est pas le cas, et c'est pour mon bien.
Pensez-vous pouvoir continuer à travailler en alternance pendant de nombreuses années ?
Oui, tant que nous n'avons pas un Covid qui vient tout chambouler (rires). Car cette année, nous avons deux championnats du monde qui ne sont séparés que de quelques semaines, nous avons donc dû faire des choix. En tout cas, les années normales, tout est fait pour que l'on puisse en faire sept et quinze, donc j'espère que les choses vont revenir à la normale.
La récupération ne doit pas être facile tous les jours quand autant de matchs s'enchaînent ?
C'est vrai, c'est intense ! (rires) J'ai la chance que mon corps me le permette et que je n'ai que très peu de blessures. Cela me permet pour l'instant de postuler aussi bien pour le sept que pour le quinze. Avec l'âge et les années, je ne serai peut-être plus aussi bien placé pour le faire plus tard.